Le camp d'aviation

La mode des avions

En 1911, sous l'impulsion d'un professeur du collège de Romorantin, fut créé une Société pour le Développement de l'Aéronotique.
La jeune société organisa, le 3 juin 1911, sous la halle de Romorantin, une exposition où, moyennant 50 centimes, le public put admirer à loisir un monoplan Blériot équipé d'un moteur Viale de 60 CV. Le lendemain, l'appareil fut démonté jusqu'au terrain de la Butte, sur un chariot conduit aux accents de fanfare militaire. Des milliers de curieux, accourus de toute la région, se pressaient aux guichets d'entrée. A 16 h 30, avec le pilote Daucourt aux commandes, l'appareil s'envola et exécuta un vol de huit minutes et demie en direction de Romorantin. A l'atterrissage, la foule était en délire et le Maire offrit de champagne. Après un second vol, cette manifestation aéronautique resta profondément marquée dans les annales locales. D'après un élu, il y avait eu plus de monde qu'à la foire de Maray, soit plus de 10 000 personnes.

Le terrain de la Butte

La première fois qu'il fut officiellement question d'aviation militaire à Pruniers, ce fut en 1912. La commune reçut une lettre datée du 31 mars 1912 émanant du Comité de l'Aviation Nationale (dont le Président était Georges Clémenceau) qui demandait au Maire de Pruniers de participer à une souscription nationale pour la création d'une aviation militaire. Le Conseil Municipal y répondit favorablement.
Le 15 avril 1912, le Président de l'Union Commerciale et Industrielle de Romorantin (l'ancêtre de l'A.R.C.A.) fit savoir au
Maire de Pruniers qu'il serait "nécessaire d'avoir un terrain d'aviation entre Orléans et Châteauroux qui comprendrait une piste, un hangar et des magasins d'huile et d'essence". Le Conseil Municipal accepta et cette installation fut érigée sur le terrain de la Butte. Deux ou trois avions y stationnèrent, avec un pilote et quelques mécaniciens. Ce hangar existe toujours. Après la guerre il a été transporté à l'aéroclub de Sologne où il est encore en service.

Un terrain militaire

Rapidement, la Société pour le Développement de l'Aéronautique" devint une "Station Aéronautique Militaire".
En 1913, lors de grandes manoeuvres, les aéroplanes des deux premières escadrilles de l'armée française utilisèrent ce terrain pour faire escale, avant de poursuivre leur route vers Limoges.

Pendant la guerre

Le ciel de Sologne fut animé par les "Voisin" du camp d'Arvord, puis par les "Morane" et les "Breguet". Les parcs des petits châteaux, disséminés dans la nature servirent de pistes d'atterrissage à l'occasion de pannes dites "de château"... Tous les as de l'aviation qui marquèrent cette époque, et dont les noms ont été donnés aux rues de la Démanchère, sont passés par Pruniers.

L'arrivée des Américains

A partir de septembre 1917, les Américains installèrent un immense camp entre la route nationale 76 et la voie ferrée Tours-Vierzon. Ce camp allait permettre d'entreposer des matériels de toutes sortes destinés à ravitailler l'armée américaine en campagne, depuis le front français jusqu'en Italie. Ce site fut préféré à huit autres en raison de la faible densité de sa population, de la planitude de son relief, de la présence de bois de construction et de sa situation particulière : à la convergence des voies ferrées venant de l'Atlantique et se dirigeant vers le front. Les travaux commencèrent dès le 1er septembre 1917.

Le G.I.S.D.

Ce camp, désigné sous le sigle G.I.S.D. (General Intermediate Supply Depot) s'étendait sur les communes de Gièvres, Pruniers, Selles-sur-Cher et Villefranche en formant un vaste losange dont les diagonales respectives étaient de 10 km et 3 km.
3 000 personnes travaillèrent à cette installation. 500 Chinois, des Espagnols et des Portugais furent embauchés ainsi qu'une importante main-d'oeuvre locale. Dès que les premiers hangards furent construits, on fit également venir de la prison de la Petite Roquette à Paris 600 détenues qui furent affectées au montage des avions, dans des enclos entourés de barbelés, situés aux Quatre Roues. Ces avions étaient des "Liberty" constitués de cellules américaines et de moteurs français.
Plusieurs centaines d'avions sortaient chaque mois des ateliers de montage. Ces appareils étaient reçus en pièces détachées, dans les caisses, acheminées par train depuis les ports de l'Atlantique, en provenance des Etats Unis.

L'usine frigorifique

Pour le ravitaillement alimentaire des troupes américaines, une gigantesque usine frigorifique, à vapeur, permettant de congeler 8 000 tonnes de viande, fut construite. Par son importance, cette usine venait en deuxième position, juste après celle de Chicago. Les chambres froides qui s'étendaient sur une superficie totale de 30 000 m2 permettaient d'assurer une ration journalière de 500 gr de viande à la population entière de New-York, de Chicago, de Londres et de Paris réunis.
En 1918, cette usine fut vendue au Mexique par le Gouvernement des Etats-Unis.

Les installations américaines

Les installations américaines concernaient les domaines
- de l'aviation : avec l'assemblage, le montage et les essais des appareils ;
- du génie : avec ses entrepôts de tout le matériel nécessaire aux travaux et avec ses ateliers spécialisés pour le travail du bois, du fer et autres métaux ;
- de l'énergie électrique : avec le stockage de groupes électrogènes et de toutes les fournitures complémentaires ;
- de la santé : avec un hôpital modèle, un entrepôt de produits pharmaceutiques, des appareils médicaux, et des hôpitaux démontables ;
- de l'intendance : avec son usine frigorifique, ses dépôts de produits alimentaires mais également une boulangerie industrielle ;
- des transports : avec son parc automobile abritant des véhicules de toutes tailles par dizaines de milliers, ainsi qu'avec une cavalerie forte de 20 000 chevaux dotée de tous les services dont elle avait besoin et avec des stocks de plus de 3 000 000 de litres de carburants et de lubrifiants.

Un défrichage... sauvage

Pour réaliser de telles installations, étudiées en prévision de cinq années de guerre, les premiers arrivants, des spécialistes du Canada, exploitèrent les bois et transformèrent entièrement tout un coin de Sologne.
Dans ses débuts, l'implantation de cette base américaine ne se fit pas sans quelques heurts avec la population car, pour construire leurs entrepôts, les Américains saccagèrent sans scrupule et sans autorisation préalable des bois et quelques champs de vignes.

Les aménagements sur la commune de Pruniers

Pour les besoins de leur aviation, les Américains aménagèrent au printemps 1918 un terrain situé au Nord du camp de Gièvres, entre la route de Vierzon et la Sauldre. Ce terrain s'étendait depuis la gare de Pruniers jusqu'au terrain de la Butte. De façon plus importante, l'emprise du camp américain sur la commune de Pruniers concernait l'Abbaye, la Filippière, Maison Blanche, la Sablière, les Quatre Roues, la Gastière et la partie prunelloise des Bruzolles.

Les Américains en Sologne

Dans ce camp vécurent ensemble jusqu'à 30 000 personnes, logées dans 430 baraques de 30 m X 6 m. Fidèles à leur "home, sweet, home", beaucoup d'Américains avaient aménagé de petits jardins d'agrément délimités par des rangées de pierres tricilores et s'étaient arrangés un petit coin douillet dans les baraquements pour mieux supporter leur attente de retour au pays.
Chaque soir, après le travail, les Américains envahissaient les localités de Pruniers, Gièvres, Villefranche et Romorantin. Ils fréquentaient les commerces et ils surent aussi tisser rapidement des liens avec les habitants.
En 1918, après le démantèlement de la base, un systhème de libre service avait été institué pour l'habillement, la quincaillerie et le petit outillage. Pour 5 Francs l'acheteur payait un sac à l'entrée d'une baraque choisie et le ressortait rempli de tout ce qu'il avait pu y entasser. Dans la campagne, de nombreuses dépendances de fermes et de maisons ont été montées avec des poutres et des tôles américaines.
Les premiers contingents arrivés en France furent des volontaires, certainement triés. Tous étaient de belle stature, très sportifs. Ils organisaient des parties de base-ball sur la place de la Paix à Romorantin (au grand préjudice des glaces des Nouvelles Galeries).
Chaque dimanche, des manifestations sportives étaient organisées dans les prés, notamment sur ce qui deviendra plus tard le stade Tournefeuille. Dans l'ensemble, une fois passés les premiers heurts, les habitants du cru comprirent combien la venue des Américains pouvait-être une source de profits importants et ils nouèrent avec eux des relations amicales.

Les cafés

Dans toutes les localités situées autour du camp américain, le nombre des cafés se multiplia. Rien qu'à Pruniers, on en dénombrait 13. Il y eut bien quelques accrochages dus à la consommation excessive d'alcool et de vin avec les gens du pays mais la "Military Police" sut rétablir l'ordre de façon énergique.

Le démantèlement

Enfin arriva le 11 Novembre 1918 et les Américains rentrèrent chez eux. La base n'ayant plus aucune utilité, elle fut donc abandonnée. Sa liquidation fut confiée à une entreprise qui, malgré sa vigilance de 200 gardiens (alors qu'il en aurait fallu 2 000) ne put empêcher le pillage.
Une nuée de rapaces s'abattit sur les bâtiments désertés encore remplis de marchandises. Des fortunes furent réalisées au détriment du bien public.

Le capitaine Georges Mailfert

Le capitaine Mailfert fut chargé par le Ministère de la Guerre d'établir un projet comportant la possibilité d'utiliser "une partie des vastes installations de Pruniers afin d'y réaliser un établissement chargé du ravitaillement en matériel d'aviation pour le temps de paix".
Le Ministère retint seulement les bâtiments situés au Nord de la piste jusqu'à la ligne de chemin de fer du "Blanc à Argent", soit 120 hectares en moyenne et restitua à leurs propriètaires les autres parcelles qu'avaient occupées les Américains.
Le 1er janvier 1920 fut ainsi fondé le Magasin Général d'Aviation N°3 chargé de stocker et d'entretenir le matériel provenant de l'industrie et de le distribuer aux formations et écoles de la métropole et de ce qu'on appelait alors "les colonies".
Grâce aux qualités d'organisateur du capitaine Mailfert, ce M.G.A. prit rapidement de l'extension et conquit une place importante aussi bien dans le domaine de l'aviation que dans le développement économique de cette partie de la Sologne, une région qui était dépourvue d'industries importantes, à l'exception des usines Normant. Les salaires des employés civils étaient 30 % supérieurs à ceux du secteur privé.
Rapidement la superficie du "Camp de Pruniers" couvrit 137 hectares eet occupa la seconde place dans l'économie de la région.

Sa mission remplie, le Capitaine Mailfert partit à la retraite en 1932, avec le grade de Lieutenant-Colonel et la cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur.


Le Capitaine Mailfert

La guerre 39-40

Cet épisode est parfaitement résumé dans "les Echos de la Sologne" du 4ème trimestre 1986 :
"
En 1939, l'Entrepôt de l'Armée de l'Air 304 démontrait, de façon évidente, toute son importance et la nécessité qu'avaient, à contrario, les Nazis de bombarder le camp de Pruniers. Le 25 mai 1940, quelques jours avant l'armistice, 18 bombardiers allemands larguèrent, en quelques minutes, 152 bombes. Trois avions seulement, pilotés par des Polonais, les prirent en chasse. L'ensemble des installations fut gravement touché.
Le même soir, un bombardier revint et 8 bombes furent lâchées sur la périphérie du terrain. Une partie du matériel fut évacuée dans les bois et les fermes voisines, au Thivaults et au Rotay. Le 5 juin 1940, au début de l'après-midi, 17 bombardiers bombardèrent à nouveau l'établissement. Tois avions furent abattus. Deux par la chasse et un par la D.C.A.. Le 18 juin, l'Entrepôt fut évacué. Les différents matériels furent repliés à Borderez-sur-l'Echez, près de Tarbes, avant d'être dispersés.
"

L'occupation allemande

Le 19 juin, au petit matin, les Allemands entraient à Romorantin.
Le camp était désormais entre les mains de la Luftwaffe. Une partie du personnel licencié fut réembauché pour la remise en état de la piste et pour la construction d'abris pour les avions, au Sud du terrain.
Plus tard, de nombreux bombardiers se sont envolés de Pruniers pour l'Angleterre. Beaucoup n'en sont pas revenus.

La libération

Dans les jours qui précédèrent le débarquement en Normandie, l'aviation anglo-américaine bombarda le terrain. C'était le lundi de Pâques 1944. Tous les planeurs stockés dans un hangar furent détruits.
Le 4 juin 1944, en fin d'après-midi, une "forteresse volante" accompagnée de chasseurs effectua un bombardement à haute altitude. Les premières bombes tombèrent à 5 km au Sud du terrain et les dernières dans les faubourgs de Romorantin, mais aucune n'atteignit sa cible. On peut voir encore des impacts d'obus à la Sablière.
Les Allemands abandonnèrent le camp dans les derniers jours d'août 1944 et l'armée française le récupéra après la libération de Romorantin (le 2 septembre). Elle trouva l'entrepôt de l'Armée de l'air 304 entièrement détruit.

Après la guerre

La Base Aérienne 273 a reçu le nom de tradition "Lieutenant-Colonel Mailfert" en 1961, et ce qui était appelé, à son origine, le M.A.G.3 s'appelle, depuis le 15 décembre 1944 l'Entrepôt de l'Armée de l'Air 602 (EAA602).
Sur le site a été créé, en 1973, le Centre de Vol à voile de l'Armée de l'air 602 (CVA) puis, en 1983, le Centre de Documentation Technique de l'Armée de l'Air (CDTAA) qui a notamment la charge de réaliser la documentation technique de l'avion "Rafale" en faisant appel aux techniques de pointe.

A l'aube de l'an 2000

Le rôle de l'EAA 602, principal établissement de l'Armée de l'air, est d'approvisionner, de stocker, de distribuer et de mettre en réparation les rechanges d'avions, les rechanges électroniques, la documentation, les ingrédients aéronautiques et les cartes géographiques.
La Base aérienne 273, quant à elle, assure le soutien de l'entrepôt, du CVA et d'éléments rattachés comme la station hertzienne de Mareuil-sur-Cher. Elle participe également à l'organisation et à l'animation des journées d'appel et de préparation à la défense.
Fort d'environ 650 hommes, dont la moitié des cadres est constituée de personnel civil, le "Camp de Pruniers" continue de tenir une place importante dans l'organisation logistique de l'armée de l'air et dans l'environnement régional.

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